Professeur Matthias MANN
Lauréat du Prix Louis-Jeantet de médecine 2012

Les informations ci-après se réfèrent à la date de la remise du Prix.

Résident allemand et danois, Matthias MANN est né en 1959 à Lingen (Allemagne). Il a fait des études de physique et de mathématiques à l’Université de Göttingen (Allemagne), puis un doctorat de génie chimique à l’Université de Yale (Etats-Unis), sous la direction de John B. Fenn, Prix Nobel de chimie. De retour en Europe en 1989, il a travaillé au Département de biologie moléculaire de l’Université du Sud Danemark à Odense, avant de rejoindre le Laboratoire Européen de Biologie Moléculaire (EMBL) à Heidelberg, où il a dirigé le groupe protéines et peptides. En 1998, il est retourné à Odense où il a été nommé professeur de bioinformatique au Département de biochimie et de biologie moléculaire de l’Université du Sud Danemark. Depuis 2005, il est directeur du Département de protéomique et de transduction du signal de l’Institut Max-Planck de Biochimie à Martinsried (Allemagne) et, depuis 2007, il dirige aussi le Département de protéomique du Centre de recherches sur les protéines de la Fondation Novo Nordisk, à la Faculté des sciences de la santé de l’Université de Copenhague au Danemark.

Matthias MANN est l’auteur ou le co-auteur de plus de 440 publications qui font de lui l’un des chercheurs les plus cités au monde. Membre de l’EMBO (Organisation Européenne de Biologie Moléculaire) et de l’Académie royale danoise des sciences, il a reçu de nombreuses distinctions, notamment les Prix Lundbeck et Novo Nordisk pour la recherche, le Meyenburg Cancer Research Award, le Prix Schelling et le Prix Leibniz.

La spectrométrie de masse à la rencontre du protéome

Après le génome, le protéome. Après avoir décrypté le patrimoine génétique de nombreuses espèces, y compris l’espèce humaine, les biologistes s’attachent désormais à recenser et à analyser l’ensemble des protéines d’une cellule ou d’un organisme. Une tâche techniquement très difficile à réaliser.
Matthias MANN a réussi à lever progressivement les obstacles et a fait de la spectrométrie de masse (une méthode d’analyse très utilisée pour détecter et déterminer la structure des molécules en mesurant leur masse) un outil très performant pour caractériser le protéome.
Avec ses collègues, il est d’abord parvenu à extraire les protéines du gel utilisé par les biologistes pour séparer ces molécules, gel qui ne permet pas leur analyse dans le spectromètre de masse. Il a ensuite miniaturisé les électrosprays, ces dispositifs utilisés pour charger électriquement les molécules étudiées, ce qui a considérablement augmenté la sensibilité de l’analyse. Enfin, il a utilisé des algorithmes mathématiques pour identifier des fragments de protéines en les comparant à ceux stockés dans des banques de données. Grâce à ces travaux, les biologistes peuvent aujourd’hui employer couramment la spectrométrie de masse pour étudier les protéines.
Poursuivant sur sa lancée, Matthias MANN a aussi élaboré une nouvelle méthode hautement précise dite SILAC (Stable Isotope Labelling by Amino Acid in Cell Culture). Cette technique, qui permet de caractériser la fonction des protéines, a ouvert la voie à de nombreuses applications de la protéomique.

Le protéome

Les protéines sont des éléments essentiels de la vie des cellules dont elles assurent les différentes fonctions. Les protéines structurelles, par exemple, déterminent l’architecture des tissus; quant aux enzymes, ils régulent les réactions chimiques. Il est donc logique qu’après s’être intéressés aux gènes et avoir décrypté le génome de nombreuses espèces – y compris l’espèce humaine – les biologistes cherchent maintenant à recenser l’ensemble des protéines d’une cellule ou d’un organisme, ce que l’on nomme le protéome. C’est ainsi que s’est développée une nouvelle branche de la biologie, la protéomique, qui vise à analyser de manière quantitative et fiable des protéines isolées et des mélanges de protéines.

Encore fallait-il que les biologistes disposent d’un outil efficace pour arriver à leurs fins. Ils ont vite envisagé d’utiliser la spectrométrie de masse, une technique d’analyse très utilisée pour détecter et déterminer la structure des molécules en mesurant leur masse. Mais cette méthode était a priori peu adaptée à l’analyse des protéines car, contrairement à l’ADN, ces dernières ne peuvent pas être amplifiées. Cet obstacle, combiné à la grande complexité des protéines, qui peuvent être fortement ou faiblement abondantes dans les systèmes biologiques, rendait cette approche très difficile.

Matthias Mann et ses collègues ont toutefois réussi à lever un à un tous les obstacles. Ils sont d’abord parvenus à extraire les protéines du gel utilisé par les biologistes pour séparer ces molécules, gel qui ne permet pas leur analyse dans le spectromètre de masse. Ils ont ensuite miniaturisé les électrosprays, ces dispositifs utilisés pour charger électriquement les molécules étudiées, développant des «nano-électrosprays» qui ont considérablement augmenté la sensibilité de l’analyse. Enfin, ils ont utilisé des algorithmes mathématiques pour identifier des fragments de protéines en les comparant à ceux stockés dans des banques de données.

Poursuivant sur sa lancée, Matthias Mann a aussi élaboré une nouvelle méthode dite SILAC (Stable Isotope Labelling by Amino Acid in Cell Culture), la plus précise des techniques de quantification du protéome. SILAC a ouvert la voie à de nombreuses applications de la protéomique permettant de caractériser la fonction des protéines par l’intermédiaire de leurs interactions, de leurs modifications et de leur localisation dans la cellule.

Les travaux de Matthias Mann ont révolutionné la protéomique. Grâce à eux, les biologistes peuvent aujourd’hui employer la spectrométrie de masse pour étudier les protéines, quelle que soit leur origine – des protéines bactériennes aux protéines humaines.

L’apport de la spectrométrie de masse

L’analyse protéomique mise au point par Matthias Mann et ses collègues (Fig. 1) consiste d’abord à solubiliser les protéines dans de forts détergents et à les digérer pour les transformer en peptides (des assemblages d’acides aminés de plus petite taille). Ces derniers sont alors séparés sur des colonnes très étroites (de 75 microns de diamètre interne) et chargés électriquement par électrospray. Ces peptides ionisés sont ensuite placés dans un spectromètre de masse qui mesure leur masse et leur intensité avec une grande précision.

Les chercheurs séquencent ensuite les peptides en les faisant entrer en collision avec un gaz, ce qui produit des fragments dont ils enregistrent le spectre de masse – un procédé nommé MS/MS. Les données qui en résultent sont analysées par une plateforme informatique protéomique, Max Quant, que l’équipe de Matthias Mann a développée et qu’elle a mise gratuitement à la disposition de la communauté scientifique. De cette suite d’opérations, il résulte une liste de protéines quantifiées selon les différents états de la cellule. A titre d’exemple, l’équipe de Matthias Mann a ainsi réussi à analyser la majorité du protéome de la levure du boulanger, dans les formes haploïde et diploïde qu’elle utilise pour se multiplier au cours de son cycle biologique.

Applications aux modifications des protéines

Pour remplir sa fonction dans la cellule, la protéine doit, la plupart du temps, être l’objet de transformations chimiques – ce que l’on nomme des «modifications post-traductionnelles». Il peut s’agir de la fixation d’un groupe phosphate (phosphorylation), d’ubiquitine (protéine modifiant les autres protéines) ou d’une autre parmi les centaines de transformations identifiées à ce jour. La technologie développée par Matthias Mann permet aussi de détecter et de quantifier ces différentes modifications. A sa grande surprise, le chercheur a d’ailleurs constaté au cours de ces dernières années que ces transformations pouvaient être extrêmement nombreuses.

Dans une cellule de mammifère, l’équipe de Matthias Mann peut désormais détecter, à l’aide de la spectrométrie de masse, plus de 10 000 phosphorylations ou ubiquitinations avec une très grande précision, puisqu’il est possible de localiser un groupe phosphate fixé à un amino-acide spécifique. Pour la communauté des spécialistes de protéomique et des biologistes, le défi est maintenant de pouvoir déterminer les rôles fonctionnels de ces modifications nombreuses et variées.

Applications aux interactions entre protéines

Les méthodes de protéomique quantitative peuvent aussi être utilisées pour déterminer, avec une grande précision, les interactions entre les protéines qui jouent un rôle important dans de nombreux processus cellulaires. En plaçant dans un incubateur un protéome cellulaire avec la protéine étudiée (appât) et en mesurant la proportion des protéines qui interagissent avec l’appât et avec les chaînes auxquelles elles sont attachées, il est possible de détecter des interactions, même si ces dernières sont faibles et éphémères. Le groupe de Matthias Mann a entrepris une expérience à grande échelle pour déterminer, avec une grande précision, le réseau des interactions des protéines d’une cellule.

La même technologie permet aussi de déterminer les interactions de n’importe quelle molécule appât avec des protéines. Matthias Mann et ses collègues ont ainsi étudié les interactions entre des marqueurs épigénétiques et des complexes de protéines qui peuvent les reconnaître. Il est aussi possible d’utiliser ces méthodes pour déterminer les protéines qui se lient à des séquences d’ADN spécifiques, ce qui contribue à élucider la nature des médiateurs fonctionnels qui sont à l’origine des différences génétiques entre les individus d’une même espèce.

Implications dans le domaine du diagnostic et du traitement du cancer

Ces travaux ont considérablement facilité le travail des spécialistes de protéomique. Mais ils pourraient aussi avoir d’importantes applications diagnostiques et thérapeutiques, notamment dans le domaine du cancer.

Des recherches récentes faites par l’équipe de Matthias Mann permettent aussi d’analyser quantitativement un prélèvement de tumeur humaine. Les chercheurs ont en effet montré que la spectrométrie de masse peut analyser du matériel biologique, même s’il est fixé sur du formol ou incrusté dans de la paraffine. Elle permet ainsi de quantifier précisément non seulement des milliers de protéines, mais aussi leur état de modification.

Cela ouvre la voie à la découverte de biomarqueurs des différentes phases d’un cancer qui pourraient aider au diagnostic et au traitement de la maladie. Dans des travaux préliminaires, le groupe de Matthias Mann a déjà montré que des données de la protéomique pouvaient permettre de distinguer aisément différents types de lymphomes (cancers du sang) affectant les lymphocytes B, qui ne peuvent pas être différenciés par les analyses histologiques traditionnelles. Dans le même ordre d’idées, les méthodes élaborées par les chercheurs allemands permettent aussi d’analyser les tumeurs de dizaines, et bientôt sans doute de centaines de patients atteints du cancer du sein ou de la prostate (Fig. 2). On peut donc espérer que les travaux de Matthias Man contribueront à améliorer la classification des patients, qui pourront ainsi bénéficier des traitements anticancéreux les mieux adaptés à leur cas.

Fig. 1 – La protéomique quantitative, de haute résolution. 

Sont représentées ici les différentes étapes permettant d’utiliser la spectrométrie de masse pour analyser un protéome. Cet exemple montre la réponse d’un protéome cellulaire à une stimulation temporaire d’un facteur de croissance. (Adapté d’un article de Cox J. et Mann M., Is proteomics the new genomics?, dans Cell, 2007, 130 (3) : 395-8, avec autorisation).

Fig. 2 – Analyse protéomique d’un prélèvement d’une tumeur du sein. 

Les prélèvements tumoraux sont fixés sur du formol et implantés dans de la paraffine (FFPE) et sont préparés par la méthode FASP (Filter Aided Sample Preparation) qui permet l’extraction, la solubilisation du protéome et la digestion des peptides. (Tamar Geiger, Jacek Wisniewski et Matthias Mann).

Professor Matthias Mann

Director
Department of Proteomics and Signal Transduction
Max-Planck Institute of Biochemistry
Am Klopferspitz 18
82152 Martinsried, Germany

Tél.: +49 (0)89 8578 2558 (assistante) 2557 (direct)


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